À la rencontre des organisateurs et des participants de Médit’Action à Calais, un projet soutenu par Nouveau Monde.
Avec cette série d’entretiens, nous explorons l’intersection entre la méditation de pleine conscience et l’engagement social, deux domaines qui semblent à première vue éloignés, mais qui partagent en réalité des valeurs de bienveillance et de présence active.
L’engagement social et humanitaire faisant face à de nombreux défis, est-ce que la méditation peut renforcer les capacités des acteurs de terrain ?
Méditons ensemble sur cette question à travers les témoignages de ce programme pilote.
Entretien avec Frédéric Thery (Co-animateur de méditaction Calais, instructeur MBSR)
Comment la méditation peut-elle soutenir les bénévoles dans leurs actions et les aider à éviter l’épuisement ?
Dans une société qui valorise la performance à tout prix, la méditation nous enseigne à accepter que ce que nous pouvons offrir est suffisant. Cela aide à éviter le « syndrome du sauveur », où l’on se sent obligé de tout donner, parfois au-delà de nos capacités. La pratique de la pleine conscience offre un espace pour reconnaître nos propres limites et ne pas nous surmener.
Pour aborder cette thématique, nous avons parlé avec Frédéric Thery, instructeur MBSR à MéditAction, qui a partagé ses réflexions sur l’importance de cette pratique pour maintenir l’équilibre émotionnel et physique des bénévoles.
Frédéric met ici en lumière comment la méditation aide à gérer les ressources personnelles, permettant ainsi de rester engagé de manière durable et réfléchie, tout en évitant le burn-out.
Bonjour Frédéric. Peux-tu te présenter ainsi que ton rôle dans cette première édition de MéditAction ?
Frédéric : Je suis français et actuellement, j’habite en Belgique. Je guide des groupes de MBSR, sur la réduction du stress et sur les émotions avec la pleine conscience. J’interviens dans des entreprises et je suis aussi intervenant à l’université de Metz en première année du DU d’introduction à la pleine conscience, destiné aux soignants. Cette année, je vais aussi intervenir en master un de la psychologie de la santé sur la pleine conscience.
J’ai également co-créé il y a une douzaine d’années maintenant l’association Daya Népal, qui vient en aide aux enfants au Népal, notamment dans l’accès à l’éducation.
J’ai rencontré Kiêt pendant notre formation d’instructeur MBSR que l’on a suivi au sein de l’ADM, l’association pour le développement de la mindfulness à Paris. C’est l’association française principale reconnue par Jon Kabat-Zinn.
Nous avons bien sympathisé et nous avons vu que l’on avait beaucoup de points communs.
Et donc le jour où Kiêt a eu envie de proposer cette association méditation pleine conscience et action humanitaire et qu’il s’est dit « j’ai besoin de quelqu’un pour m’épauler », il a pensé à moi pour les raisons que je viens de t’expliquer. L’humanitaire, c’est un milieu que je connais bien par l’engagement que j’ai depuis douze ans.
Mon rôle au sein de cette première édition était double. Dans un premier temps, c’était de venir soutenir Kiêt pendant cette semaine parce que c’est très prenant comme implication. C’est plusieurs temps de méditation par jour, plus la gestion du groupe, plus notre implication dans l’association que l’on venait soutenir “Refugees Community Kitchen”. Ça faisait des journées de 6h à 22h avec les participants. C’est quasiment indispensable qu’il y ait déjà deux instructeurs, deux intervenants. S’il y a quelqu’un au sein du groupe qui est un peu plus en difficulté, il faut qu’il puisse y avoir un soutien personnalisé pour ce participant-là pendant qu’un autre intervenant reste avec le groupe. Là par exemple avec Kiêt, il y avait trois temps de méditation par jour, un le matin, un après la journée de travail et après le repas du soir, un temps de partage. On alternait la guidance des méditations. À chaque fois, on était présents tous les deux, mais ça permettait aussi de se laisser porter, de pouvoir ensuite se reposer un peu et que ce ne soit pas une voix unique. C’était aussi très intéressant pour les participants d’avoir deux approches différentes, une vision et une personnalité différente qui correspond plus à tel ou tel participant, tel ou tel moment.
La deuxième raison c’est que l’on souhaite que cette proposition soit renouvelée par d’autres après donc on peut se transmettre des choses pour qu’ensuite un autre instructeur puisse à son tour organiser.
Quelles étaient les thématiques de méditation abordées pendant la semaine?
Frédéric : On avait préparé chaque jour un thème différent, par exemple : « prendre soin de soi », « observer ses besoins », « cultiver l’esprit du débutant », et « accueillir et observer les différences entre les uns et les autres ». Nous avons aussi accueilli les différences d’appréciation et d’accueil de notre participation. Parce qu’à Calais, par exemple, ce n’est pas bien vu par tout le monde de nourrir les migrants, loin de là. Il y a des gens qui sont complètement opposés à ça. Donc, c’était important de voir qu’il y avait des personnes qui fonctionnent différemment de nous et qui n’ont pas forcément tort, ils ont juste une vision différente de la nôtre.
Et puis, plus on avançait dans la semaine, plus on entrait dans la bienveillance, l’altruisme, la fraternité, le partage, et l’amour bienveillant.
L’idée, c’était de commencer par quelque chose de très concret sur ses propres possibilités, de faire un peu le point. Pourquoi je suis là ? Qu’est-ce qui m’a amené ici ? Descendre un peu profondément en soi et puis voir les ressources que chacun a, les fragilités aussi que chacun peut rencontrer. Voir qu’est-ce qui pourrait nous soutenir et puis aller vers l’amour, le partage, la bienveillance, l’altruisme et l’humanité en général.
Elsa : J’ai eu une conversation avec une participante qui m’a partagé une perspective à laquelle je n’avais pas pensé. Elle a mentionné que la méditation l’avait aidée non seulement dans la gestion des émotions, mais aussi dans la gestion de la fatigue et des défis physiques. Elle a évoqué la peur de ne pas avoir suffisamment d’énergie pour s’adapter à un rythme intense ou à des situations physiquement exigeantes. Cela m’a rappelé qu’au-delà du soutien émotionnel, la méditation peut aussi apporter un soutien physique en aidant à gérer notre énergie corporelle. Qu’en penses-tu ? Au-delà du soutien émotionnel, la méditation peut aussi apporter un soutien physique en aidant à gérer notre énergie corporelle ?
Frédéric : Oui complètement, quand on fait de la méditation, c’est vraiment une pratique complète. La méditation, c’est tout le corps, toute la vie qui est là. Que ce soit le gros orteil du pied gauche – « comment va mon gros orteil du pied gauche ? », « Est-ce qu’il a quelque chose à me dire ? », jusqu’à « Quelles sont mes valeurs ? », « Quelles sont mes émotions ? ». La méditation, c’est vraiment un spectre global. Et donc revenir sur le corps, oui bien sûr. « Comment je me sens physiquement ? », « Quelles sont mes ressources, mes difficultés, mes forces, mes faiblesses ? ». C’est indispensable et là le rythme était soutenu.
La méditation aide-t-elle à gérer notre énergie et à reconnaître nos limites ? Aider, ça prend beaucoup d’énergie, mais ça en donne aussi, non ?
Frédéric : Oui, effectivement ça donne de l’énergie, mais quand même c’est très fatiguant, surtout dans ce contexte du matin au soir. La méditation nous permet de nous poser, de faire le point, de voir où on en est aussi bien physiquement qu’émotionnellement. Ça, c’est un des points importants. C’est là-dessus que la méditation vient soutenir l’action, en fait. Elle nous permet de dire : « Ok, où est-ce que j’en suis ? Est-ce que j’ai encore la force d’avancer ? Est-ce que c’est bon pour moi ? Vais-je trop loin ? Où sont mes limites ? ». Il s’agit de ne pas aller trop loin, de voir ce qui est possible pour nous et de ne pas aller au-delà.
Comment la méditation peut-elle éviter le « burn-out empathique » souvent rencontré dans les actions humanitaires?
Qu’en est-il du ”don de soi” qui peut amener à s’oublier pour aider l’autre ?
Frédéric : Je ne sais pas si c’est une formulation que j’utiliserai, le ‘don de soi’. Parce que si tu te donnes, ça veut dire que tu t’oublies peut-être un peu. Je pense que la méditation vient justement éviter ce ‘don de soi’, c’est-à-dire que l’on reste dans une action qui est solidaire, mais sans s’effondrer, sans fusionner. C’est une formulation qu’on utilise souvent, le don de soi, mais peut-être qu’elle est un tout petit peu dangereuse si elle n’est pas bien dosée. Plutôt que “don de soi”, je parlerais donc plutôt de “la maîtrise de soi”. Il s’agit de voir instant après instant quelles sont mes possibilités. ‘Qu’est-ce que je peux faire ?’ Ce que je peux faire là maintenant, c’est déjà suffisant. On reste dans une action qui est solidaire, mais sans s’effondrer.
Peut-être que je peux faire beaucoup et c’est génial. Peut-être que je ne peux pas faire beaucoup et c’est ok aussi. Nous sommes dans une société où il faut être performant partout. C’est important de reconnaître que parfois, nous ne sommes pas au top de ce que les autres pourraient attendre de nous, mais que ce n’est pas grave. On va donner ce que l’on a et puis demain, ce sera différent. Il y en a tellement qui subissent des burn-outs empathiques parce qu’ils s’oublient en donnant trop d’eux-mêmes. Ils vont trop loin sans s’en rendre compte.
Des burn-out empathiques, tu en as déjà observé lors de tes actions ?
Frédéric : Oui, cela m’est arrivé plusieurs fois avec des volontaires au Népal. On arrive à un point où on perd pied, on devient incapable de rien parce qu’on est submergé par l’émotion. On se sent inutile, incapable. Moi aussi, je ressens cela, ce n’est pas seulement les autres. Par exemple, il y a une association que Daya Népal essaie d’aider, cette association vient en aide à des filles victimes de trafic humain. Elles sont enlevées dans les montagnes pour être envoyées en Inde et prostituées. Lorsque les parents des jeunes filles réalisent que leur enfant, qu’ils croyaient partie étudier ou travailler à Katmandou, est en fait victime de trafic, ils font appel à des associations qui tentent de retrouver ces jeunes filles et de les ramener au Népal. Le problème, c’est que cela peut parfois prendre jusqu’à deux ans entre le moment où elles sont trouvées et le moment où elles ont tous les papiers nécessaires pour revenir au Népal. Et quand elles reviennent, souvent leurs familles ne les acceptent plus, car elles sont considérées comme souillées.
Imaginez… Enlevées, prostituées, rejetées, et exclues.
Chaque fois que je visite cette association, je me sens submergé par mes pensées et mes émotions. Étant le seul homme de l’assistance, je me sens responsable de tout ce qu’elles ont pu subir. Un peu comme si, lorsqu’elles me regardent, elles ne voyaient que l’abominable homme qui l’a violenté, même si bien sûr, je n’y suis pour rien. Pour moi, c’est vraiment très difficile, je ressens des vagues d’émotions énormes. Que faire avec ces émotions et ces pensées ? Puis-je surfer sur ces vagues ? Puis-je m’en sortir ? Ou est-ce que je me laisse emporter par elles ? Prendre conscience de ce qui est. Ce qui est là est là et faire avec.
En quoi la méditation aide-t-elle à reconnaître et à accepter ses émotions, et comment cela peut-il prévenir l’épuisement ?
Frédéric : La méditation permet justement d’observer ce qui est là et de ne pas le nier. Elle évite de dire « non mais moi je suis un bonhomme, oui, il y a des difficultés, mais moi, je suis cartésien, on peut apporter des choses, on va trouver de l’argent, on va les aider pour faire ci, on va les aider pour faire ça. « Ok, mais « qu’est-ce que ça me fait à moi ? », « Qu’est-ce que ça vient toucher en moi ? ». La reconnaissance de ce qui t’anime, te donne la force de continuer d’avancer, d’aller plus loin encore si tu le souhaites. Si tu acceptes d’être fragile, si tu acceptes d’être la flamme dans le vent, tu sauras trouver en toi les ressources pour aller plus loin et t’approcher encore un peu plus de tes vraies valeurs. Pour moi, la méditation est vraiment indispensable pour cette prise de conscience.
Elsa : Dans ces contextes, il y a aussi le groupe qui vient soutenir ça. Par exemple pour des personnes qui n’ont jamais vécu de contexte humanitaire ou social violent. Il y a aussi le fait de découvrir la méditation pendant cette semaine-là. Ça s’apprend, cette bienveillance avec soi, cette écoute. Je pense que dans cet apprentissage, la notion d’encadrement et de groupe, elle est importante ? Toi, quand tu racontes ton expérience du Népal, tu es déjà capable d’avoir cette distanciation. Tu es capable de voir les vagues, peut-être même la grosseur des vagues et donc de te situer dans la situation et ça prend du temps aussi ça.
Comment le groupe et les échanges peuvent-ils soutenir les bénévoles ?
Frédéric : Justement, moi, je te parle en tant que Fred Théry et cette expérience personnelle là permet d’être un support dans un groupe de méditation. Parce que je suis passé par là, parce que je continue à passer par là, je peux donc mieux comprendre le chemin que les participants sont en train d’emprunter. Qu’ils pratiquent la méditation depuis longtemps ou qu’ils soient débutants, que ce soit leur premier engagement dans l’humanitaire ou pas. Dans le groupe, les temps de partage que l’on a dans ce programme sont aussi très importants. Tous les soirs, nous prenons un temps pour partager et échanger ensemble sur nos expériences de la journée. Nous pouvons orienter ces échanges autour d’un thème pour faciliter la parole, mais chacun est libre d’aborder ce qu’il traverse sur le moment. Ça permet aux participants, qu’ils soient ceinture noire de méditation ou qu’ils n’en aient jamais fait, de voir qu’ils ne sont pas tout seuls à traverser cette expérience, que ce qui résonne en eux et ce qu’ils sont en train de vivre, les autres aussi le traverse, peut-être d’une façon un peu différente, mais ils sont aussi en train de traverser ça et c’est hyper enrichissant et hyper soutenant. Donc pour moi ça devrait être indispensable, ça devrait être courant dans les associations humanitaires d’avoir ces temps-là de partage et de soutien.
Elsa : Oui, ça c’est certain. Après, c’est aussi des questions structurelles parfois.
Frédéric : Oui. Mais je vois par exemple, l’association avec laquelle nous sommes intervenu, il n’y avait pas de temps de méditation vraiment dédié, mais une immense écoute. J’ai été vraiment bluffé par la qualité d’écoute et de sécurité. Notamment quand on est allé faire les distributions, on avait vraiment un cadrage, ils ont pris du temps avant pour nous expliquer comment ça allait se passer, les règles de sécurité tout ça et puis du temps après pour voir comment on se sentait, s’il y avait des choses à partager. Pendant la distribution, on va se retrouver avec peut-être une centaine, deux-cents migrants qui sont là, des jeunes hommes qui sont dans la misère, qui sont en attente de beaucoup de choses. Donc ça peut être très très fort. L’association, ils nous ont dit « Si vous ne vous sentez pas en sécurité, on part. Vous n’avez pas besoin de vous justifier, si vous sentez qu’il y a quelque chose qui ne va pas. » Nous avions un code. Et avec ce code-là, tout le monde devait remonter dans le camion et on partait sans aucune justification, si on se sentait fragile et insécure. J’ai trouvé ça dingue parce qu’ils étaient prêts à tout abandonner là, tout le matériel, les repas qu’on avait préparés pour tout le monde et tout. On laissait tout sur place.
C’est très fort et c’est important. J’ai trouvé ça vraiment très beau et très sécurisant de la part de cette association.
C’est un exemple qui m’a vraiment marqué. En fait, ce qui est important dans ce que je te partage là par rapport à la méditation dans l’action, c’est que peu importe comment tu te sens là maintenant, comment tu perçois l’expérience que tu es en train de traverser, ce que tu ressens, c’est important et c’est ok tel que c’est. C’est ok pour tout le monde. S’il y en a un qui se sent en fragilité, peu importe que ce soit une raison valable ou pas au regard des autres, peu importe si c’est vérifiable ou pas, c’est ce qu’il ressent là maintenant et donc c’est là, c’est sa vérité là, maintenant pour lui. C’est ce qui est important et ce qui est primordial et on agit en conséquence.
Est-ce qu’il y a autre chose que tu aimerais partager ?
Il y a un enjeu à proposer ces interventions directement dans les organisations. Je pense qu’il faut être vigilant pour ne pas se dire « ok, on va les rendre plus performants en leur faisant pratiquer la méditation. » C’est souvent le cas dans les entreprises qui utilisent la méditation comme un moyen de dire « nous prenons soin de nos employés, donc tout va bien, » ce qui les dédouane d’autres responsabilités.
La méditation doit être quelque chose de volontaire, pas obligatoire, que ce soit dans le contexte professionnel ou humanitaire. Ceux qui ne sont pas prêts ou qui ne veulent pas explorer ne devrait pas être forcé. Mais pour ceux qui sont intéressés, il devrait y avoir des ressources disponibles.
Regards Croisés
Le message est clair : pour être pleinement efficace dans l’action sociale, il faut d’abord être à l’écoute de soi-même. La méditation offre un espace pour cette écoute, pour reconnaître ses émotions et ses besoins, et ainsi éviter de se perdre dans le « don de soi » excessif.
Frédéric nous montre que, dans un environnement dans lequel les attentes sont grandes, la méditation permet de trouver un équilibre, d’accepter ses limites, et de continuer à agir avec clarté et compassion.
C’est aussi là que réside la force d’un programme comme MéditAction : offrir aux bénévoles non seulement les moyens de soutenir les autres, mais aussi de se préserver, afin que leur engagement reste durable et serein.
Cela pourrait vraiment changer la manière dont nous abordons l’aide humanitaire, en intégrant une dimension de soin de soi pour renforcer notre capacité à aider les autres.
Articles par le Fond de Dotation Nouveau Monde – Entretiens réalisés par Elsa Delaunay
Avec la participation de l’Espace de la Source, des organisateurs et bénévoles ayant participés au programme Médit’Action Calais.